Ce billet a paru à l’origine sur le blogue Fractale Framboise et est reproduit ici à peu près tel quel (au plus, j’ai mis à jour certains liens ou corrigé une faute). Notez bien la date de publication ci-dessus: il se peut que certaines des informations présentées dans le texte ne soient plus très actuelles, même si le fond demeure pertinent.
En chemin, l’autobus passe de belles collines tachetées par les ombres des nuages; au-dessus d’un lac, un arc-en-ciel s’élève. Décidément, le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean a mis le paquet sur le décor cette année.
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En entrant dans l’hôtel, on traverse un vaste lobby blanc. Le comptoir est au fond. Le préposé me remet ma carte magnétique en m’annonçant que tout l’hôtel est fraîchement rénové. Je monte vers ma chambre avec l’impression d’avoir à ma disposition un grand jouet flambant neuf. La chambre est vaste elle aussi; la télé à écran plat a presque autant de superficie que le lit. La salle de bains offre la panoplie habituelle de petits savons et de petites bouteilles de shampoing, lotion, etc. L’emballage du savon facial dit: «Every day is a gift waiting to be unwrapped». Oui, savon philosophique, tu as bien raison. Chaque jour est un cadeau qui attend qu’on le déballe.
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Pour entrer au Salon du livre à partir de l’hôtel, on emprunte un couloir où des piles de chaises de chaque côté forment une haie d’honneur.

Une fois entré, je me sens… pas exactement chez moi, mais à l’aise. D’un salon à l’autre, je retrouve les mêmes tables de dédicaces, les mêmes chaises; chez mon éditeur, les mêmes affiches, dont les miennes que je ne me lasse pas d’admirer.
Comme à chaque salon, je croise beaucoup des mêmes exposants. Il y a de bons vivants là-dedans, c’est un plaisir d’aller prendre un verre en fin de soirée, mais cette fois-ci, le temps me manque. Je passerai une bonne portion de mon temps à écrire et répéter dans ma chambre. L’ambiance dans le Salon est déjà conviviale, avec les gens des Six Brumes dans le stand en face. Un peu plus loin, un de ces personnages costumés qui donnent à ces événements un charme très particulier. Je trouve comique de l’avoir au bord de mon champ de vision à chacune de mes séances. Visiteur, sois prévenu: tu traverses ici une zone d’étranges imaginaires.
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Je retrouve aussi des visages locaux que je n’avais pas vus depuis mon dernier passage à ce salon. Dans le centre d’achat, je reconnais certains des comptoirs de bouffe. Tout redevient familier. C’est ainsi presque à chaque salon, dans ces villes que je connais peu. En arrivant, je suis mélangé: au moins un an s’est écoulé depuis ma visite précédente et mes souvenirs de ce passage se mélangent à ceux de tous les autres salons. Puis, tout commence à me revenir. Soudain, je sais qu’il y a un restaurant Mike’s tout près. Un livre plus tard, un autre salon dans une autre ville, et je vivrai à nouveau cet enivrant influx de connaissances, Keanu Reeves dans The Matrix: «Whoa! Je connais Trois-Rivières.»
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Je socialise peu car j’ai fort à faire. Je travaillais avant même d’arriver. Le Salon organise un conte à relais cette année. Cinq conteurs doivent écrire chacun un bout d’une histoire: un par jour en débutant le lundi. Comme je suis le cinquième, c’est à moi qu’il revient de tout ficeler et je dois lire mon texte à la radio, en direct du Salon. Je dois inclure dans ma finale quelques répliques qui seront dites par un comédien qui est sur place pour une autre émission.
J’en suis ivre de pouvoir. J’ai Pierre Brassard à ma merci: je peux lui faire dire n’importe quoi.
Je reçois le segment précédent par courriel, sur l’autobus, le jeudi vers 17h en entrant en ville. J’arrive à l’hôtel, je soupe, je signe, puis je me torture les méninges jusqu’à trois heures du matin. L’histoire telle qu’élaborée par les conteurs précédents est très ancrée à la fois dans la réalité de la région et dans la mythologie innue. En écrivant ma finale, j’ai donc la possibilité d’insulter mortellement les Saguenéens, les Jeannois, les Innus et les peuples des Premières Nations en général. Je passe la moitié du temps à faire des recherches pour essayer de maîtriser le sujet.
Le lendemain, je révise – entre deux séances de signatures, un dîner et une rencontre de préparation de spectacle. Je livre le texte vers 16h, comme prévu. Autour de 17h30, je retrouve les instigateurs du conte à relais, les autres conteurs ainsi que monsieur Brassard autour des micros de Radio-Canada. Ma finale tient la route et monsieur Brassard s’acquitte admirablement de sa tâche. Vous pouvez écouter tous les segments ici, si vous êtes curieux.
Ma journée n’est pas finie pour autant. Il me reste une séance de dédicaces, puis une soirée de contes en compagnie de Renée Robitaille et Michel Noël, avec Isabelle Larouche à l’animation – presque toute la bande du conte à relais, il ne manque qu’Yvon Paré. On a réaménagé la scène pour simuler un espace de camping: tente, chaises pliantes, feu de camp (pas de feu, mais de vraies bûches et de vraies pierres). On offre aux spectateurs des guimauves piquées sur des branches. Une fois le spectacle terminé, je pige des guimauves pour chacun de mes comparses: ils n’en veulent pas alors je les mange toutes.
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Un salon du livre, c’est quatre jours sans repas maison. Il y a une épicerie dans le centre d’achats adjacent et ma chambre est munie d’un petit réfrigérateur vide plutôt que d’un affreux minibar. Aussi bien en profiter. À l’épicerie, j’achète des fruits, du trail mix, des muffins pour déjeuner, une salade de légumineuses. Puis, au comptoir des repas chauds, je m’improvise un souper: poulet popcorn, bruschetta, riz chinois. Cuisine fusion. Je finis toujours pas manger un peu de tout n’importe quand. Burger deluxe au restaurant de l’hôtel un soir; croissant aux amandes entre deux séances de dédicaces.
Le troisième jour, le Mike’s: un Mike’s à l’ancienne dont la façade n’a pas encore été rebrandée en «Trattoria di Mikes». Il le faut. L’hôtel, le centre des congrès et le centre d’achats sont reliés en une seule entité commerciale et fourmillante. On peut aisément passer toute la durée du salon sans jamais en sortir. Trop facile d’oublier qu’il y a encore un monde à l’extérieur.
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Le Salon roule bien: bon achalandage. Ça reste difficile d’intéresser les gens à des auteurs qu’ils ne connaissent pas. Ne savent-ils pas que chaque livre est un cadeau qui attend qu’on le déballe? J’arrive tout de même à en convaincre certains. D’autres arrivent convaincus: des récidivistes, des gens qui ont lu mon premier roman et veulent le deuxième. Un bonheur.
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Puis c’est déjà terminé. Le dimanche soir, après toute cette activité, après des lancements de livres en série, le bar de l’hôtel est quasi vide. Petite ambiance de ville fantôme.
Je dois partir le lendemain pour le Rendez-vous des Grandes Gueules de Trois-Pistoles. J’y présente un nouveau spectacle solo. Outre le conte à relais, j’aurai raffiné et répété le texte de ce spectacle tout au long du Salon. Ce soir encore, je conte dans ma chambre. Mes auditeurs sont le lit trop vide, la télé éteinte, le savon philosophique. Pendant que mes vêtements tournent en rond dans la buanderie huit étages plus bas, je mime l’ours qui se dresse sur ses pattes de derrière et quitte la forêt pour la ville.
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J’écris ces lignes de mon petit manoir sherbrookois. Le festival de Trois-Pistoles s’est bien déroulé. À peine rentré, me voici déjà dans un autre salon, celui de l’Estrie: pour celui-là au moins, je peux coucher à la maison. Si vous voulez passer me dire un mot, mon horaire de signatures est ici.