En tant qu’auteur, il y a des questions que l’on se fait souvent poser. Et d’autres s’ajoutent si l’on écrit des histoires un peu étranges. On nous demande : « Les littératures de l’imaginaire, c’est quoi? » Ou : « Quelle est la différence entre le fantastique, la fantasy et la science-fiction? »
Je vous offre ici ma réponse, issue de mes lectures, de mon expérience et un peu de mes préférences – une réponse sans grand poids académique, légal ou autre. Je vais m’essayer à définir et à distinguer aussi simplement que possible, puis j’apporterai quelques nuances. (C’est un premier essai : il n’est pas impossible que je revienne étoffer ou préciser certaines définitions.)
Les littératures de l’imaginaire
On regroupe sous la bannière « littératures de l’imaginaire » des histoires qui débordent du cadre ce que l’on s’entend pour considérer possible aujourd’hui. Votre voisin trompe son épouse? Ça se peut. Votre voisin est un espion et se livre à une poursuite automobile effrénée dans les rue de Moscou? C’est peu probable, mais pas impossible : personne ne met en doute l’existence de Moscou, il y a des automobiles là-bas comme ici, et les espions, ça existe, même si on ne sait pas toujours qui ils sont. Votre voisin est un vampire? Là, on entre dans l’imaginaire. Même chose s’il se fait enlever par des extra-terrestres : c’est scientifiquement possible qu’il existe ailleurs dans l’univers des créatures intelligentes capables de venir visiter notre planète, mais personne ne l’a encore prouvé.
On peut diviser les littératures de l’imaginaire en un certain nombre de genres : je couvre les principaux ci-dessous.
La science-fiction
Vous avez noté comment je parlais ci-haut de ce qui est possible aujourd’hui? La science-fiction (la SF, si on veut abrévier) raconte ce qui pourrait arriver, éventuellement, peut-être. En général, pour écrire de la science-fiction, 1) on postule un changement relativement plausible (souvent technologique, parfois sociologique), et 2) on extrapole pour explorer ce qui pourrait en découler.
Par exemple : on sait qu’il est possible de voyager dans l’espace (des humains ont atteint la Lune, des sondes sont allées bien plus loin). Que se passerait-il si on envoyait des humains sur Mars pour y établir une colonie? Ou encore : que se passerait-il si la Grande-Bretagne devenait un régime totalitaire? Ou encore : on ignore s’il est possible de voyager dans le temps, mais certains physiciens sont prêts à envisager la chose. Que se passerait-il si on arrivait à fabriquer une machine à voyager dans le temps? Si on l’utilisait pour fins militaires? Ou si on la commercialisait? Ou si on s’en servait pour reculer dans le temps et devenir accidentellement le père d’Adolf Hitler?
Donc : plausibilité et extrapolation… mais les doses peuvent varier beaucoup d’une œuvre à l’autre. Certaines sont construites avec une grande rigueur. Dans d’autres, on bâcle l’extrapolation pour sauter directement à une mise en scène un peu saugrenue : les chats ont anéanti l’humanité et ont construit des vaisseaux spatiaux pour aller vivre des aventures intergalactiques, et peu importe comment on en est arrivés là, tant qu’on s’amuse.
Le fantastique
On entre ici dans l’impossible : le surnaturel, le paranormal, les manifestations que la science ne saurait expliquer. Une histoire fantastique, en général, se déroule dans un cadre réaliste que vient perturber un élément inexplicable. Un infirmier habitant Limoilou achète une voiture usagée ayant appartenu à un homme condamné pour un meurtre horrible; par moments, il croit apercevoir le reflet du meurtrier dans le rétroviseur, et plus le temps passe, plus il lui vient des envies sanguinaires…
L’élément fantastique (l’apparition dans le rétroviseur et ce qu’elle implique) constitue un dérangement : il semble contredire ce que nous enseigne la science. La vie de l’infirmier, plausible jusque là, s’en trouve altérée.
Le fantastique peut être plus ou moins subtil. Il peut prendre la forme d’un loup-garou bien poilu qui hurle et qui mord à pleines dents, ou il peut être aussi discret qu’un reflet. Parfois, le dérangement est léger et n’inspire pas nécessairement la peur – on peut explorer d’autres émotions. Souvent, il y a de la place pour le doute : l’infirmier voit-il réellement l’image du meurtrier, ou est-ce une hallucination due au surmenage? Ses envies sanguinaires sont-elles inspirées par le fantôme du meurtrier, ou indiquent-elles un problème psychologique? Parfois, l’histoire se termine sans qu’on puisse trancher : le doute subsiste, mais le dérangement est indéniable.
La fantasy
Parfois, on a envie de donner plus de place à l’extraordinaire. Dans la fantasy, on met en scène des éléments implausibles (dragons, magie, notre loup-garou de tantôt, etc.) d’une manière plus franche.
La trilogie du Seigneur des anneaux est un exemple incontournable. L’histoire se déroule carrément dans un autre monde : on y trouve certains éléments qui cadreraient dans notre réalité (il y a des chevaux), mais la géographie est tout autre, bien des personnages ne sont pas tout à fait humains, un objet magique joue un rôle central… Le paysan moyen ne sait pas pratiquer la magie mais il accepte qu’elle puisse exister : son monde est ainsi fait. S’il rencontre une forme de magie, il s’inquiétera ou s’étonnera peut-être, mais ne remettra pas en question toute sa perception de la réalité.
On peut aussi situer des histoires de fantasy dans notre monde. Qu’est-ce qui distingue la fantasy du fantastique, dans ce cas? En gros, les éléments implausibles y sont plus nombreux et forment un système cohérent. Un seul loup-garou est une anomalie, un dérangement de l’ordre établi : on est dans le fantastique. Si plusieurs meutes de loups-garous se disputent la ville en secret depuis des générations, si elles forment une sorte de culture underground avec ses traditions et règlements, si un clan de vampires vient se mêler de la partie… alors on s’approche davantage de la fantasy. Même si le citoyen moyen ignore l’existence de toute cette mascarade, celle-ci commence à ressembler à un univers extraordinaire en soi plutôt qu’à une anomalie faisant irruption dans l’ordinaire.
Ça vous suffit?
Voilà pour la base. Vous pouvez vous en tenir à ça si vous voulez. Pour une illustration qui résume la chose, je vous réfère à la « parabole du chat », qui semble avoir été formulée par Denis Guiot, et que vous trouverez citée ou paraphrasée à divers endroits sur le Web.
Cela dit : définir des catégories, c’est rarement aussi simple qu’on le voudrait. Si vous voulez des nuances et quelques mots sur quelques autres genres, lisez ce qui suit…
Compliquons les choses : le flou et les preuves
Tout est relatif. Et en littérature comme dans bien d’autres domaines, les frontières sont rarement nettes. La distinction entre deux genres est parfois subjective, et on finit toujours par trouver des œuvres qui chevauchent les frontières.
Prenez La guerre des étoiles : il y a des vaisseaux spatiaux, des lasers, des extra-terrestres, c’est de la science-fiction, non? Ça y ressemble, oui… mais une part de l’intrigue s’appuie sur une Force mystique, notre héros est un archétype sorti droit des légendes d’antan (le fils de fermier au destin grandiose, appuyé par un vieux mentor qui lui fournit une épée magique) et les éléments SF font surtout figure de décor. Est-ce de la fantasy, alors? Ça dépend. Personnellement, je dirais que c’est un peu les deux à la fois.
Les genres se combinent et s’hybrident d’une foule de manières. Mon roman Montréel est une uchronie : j’ai imaginé qu’à un point dans notre histoire, un événement est venu changer la donne, si bien que le monde, à partir de ce point, a évolué différemment de l’Histoire que l’on connaît. Comme l’uchronie nécessite un réel travail d’extrapolation, on la considère souvent comme un sous-genre de la science-fiction. Dans Montréel, pourtant, le point de divergence est dû à l’apparition d’une forme de magie, et la magie occupe une place importante dans la société qui en découle – c’est donc aussi de la fantasy. (Plus récemment, dans Les Étages ultérieurs, j’ai mis en scène une forme très limitée de voyage dans le temps, ce qui pourrait en faire de la SF, mais je lui ai donné une saveur plutôt fantastique.)
Les frontières sont floues. Et ça m’amuse de penser, aussi, que la réalité comporte une part de flou. J’ai introduit plus haut l’idée de preuve : les littératures de l’imaginaire mettent en scène des éléments dont l’existence n’a pas été prouvée. Mais depuis quand se préoccupe-t-on de preuves? Il y a des gens qui croient dur comme fer que des extra-terrestres ont visité la Terre. Il y a des gens qui s’obstinent à croire que cette même Terre est plate, malgré les preuves du contraire.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le fantastique me fascine tant, je crois. Bien des gens croient à l’invisible, à l’intangible; parfois, ils s’y appuient pour prendre des décisions. Ils consultent leur horoscope, ou une voyante, ou entretiennent des croyances religieuses plus ou moins conventionnelles. Je ne juge pas – je ne prétend pas être moi-même absolument rationnel. Simplement, je trouve intéressant de noter que ce que l’on considère possible varie d’une culture à l’autre (la classification décrite ici étant plutôt occidentale, voire nord-américaine) et d’une personne à l’autre. Une histoire de fantômes relève-t-elle du fantastique pour quelqu’un qui croit aux fantômes?
Compliquons les choses : trois autres genres
L’imaginaire est vaste et se décline d’une foule de manières. Quelques genres encore méritent une mention.
Le merveilleux : c’est le domaine des contes de fées, des légendes traditionnelles. On se trouve dans un monde de symboles et d’archétypes. Souvent (pas toujours), les repères sont flous : le roi n’est pas nommé, pas plus que les villages que traverse notre héros. Une créature mythique ou un sort ne constitue pas un dérangement, comme dans le fantastique, mais plutôt une réalité dont le héros s’étonne peu : il combat le monstre, reçoit l’aide de sa fée marraine, rompt la malédiction.
En quoi le merveilleux se distingue-t-il de la fantasy? Il relève de la littérature orale, il provient d’un temps où l’on croyait plus aisément aux sorciers, aux malédictions, aux fées, à l’inconnu; la fantasy, elle, a été codifiée comme telle plus récemment. La fantasy est souvent plus spécifique : on nomme les lieux, on donne dans la généalogie, on élabore parfois des « systèmes de magie » rigoureux, cohérents et détaillés.
Le réalisme magique : c’est un genre que j’aime bien et que je trouve difficile à cerner. Je dirais qu’il s’apparente au merveilleux mais prend place dans un cadre plus familier et généralement contemporain. On l’associe beaucoup à la littérature sud-américaine, à des auteurs tels Gabriel García Márquez et Isabel Allende. On y accepte l’implausible et l’impossible plus facilement que dans le fantastique, on y trouve une dimension plus poétique ou mystérieuse ou séduisante ou… ça se vit mieux que ça se délimite. Je serais tenté d’inclure ici La grosse femme d’à côté est enceinte, de Michel Tremblay, pour ses quelques touches de fantaisie et la manière dont elles s’intègrent à l’ensemble.
L’horreur : certains jugent que l’horreur n’est pas un genre autant qu’une attitude ou une émotion. Ce qui est certain, c’est que l’horreur se décline de diverses manières et peut investir la plupart des genres énumérés jusqu’ici – et d’autres encore. On rencontre bien des œuvres d’horreur fantastique : des histoires de vampires peu romantiques, ou de Mal antédiluvien relâché sur notre monde moderne par des archéologues imprudents… L’horreur peut aussi se conjuger avec la science-fiction (au cinéma, Alien et The Thing entre autres); on trouve aussi de la fantasy teintée d’horreur. Et l’horreur se trouve trop facilement dans la réalité : on peut écrire bien des histoires d’horreur qui n’ont rien à voir avec les littératures de l’imaginaire.
Entre parenthèses : imaginaire et « paralittérature »
On n’en finit jamais de s’empêtrer dans les termes. Pour regrouper fantastique, science-fiction et compagnie, je privilégie le terme « littératures de l’imaginaire ». Le terme approche du pléonasme, quand on y pense : après tout, la fiction en général implique une part d’imaginaire. Même quant tout y est plausible, on invente des personnages et on leur imagine une vie. Mais… il y a des littératures qui sont encore plus imaginaires que d’autres.
Peut-être avez-vous rencontré le terme « paralittérature ». On y inclut souvent, en plus des littératures de l’imaginaire, des genres comme le policier, la romance, voire le roman historique… Dans un sens, on y classe tout ce que l’on peut, justement, identifier comme étant un genre, par opposition à une sorte de Littérature centrale qui, elle, se définit en étant purement Littérature. Je trouve le terme inutile et plutôt condescendant. Il y a des littératures, c’est tout : des littératures avec diverses approches, diverses saveurs, divers objectifs. On peut écrire des œuvres de qualité dans n’importe quel genre.