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des histoires qui marchent

parce que l’écriture, c’est pas sorcier (sauf quand ça l’est)

classé sous: récit, réflexions · 17 septembre 2015

Les secrets de l’édition et les cicatrices de Michel Tremblay

Ce billet a paru à l’origine sur le blogue Fractale Framboise et est reproduit ici à peu près tel quel (au plus, j’ai mis à jour certains liens ou corrigé une faute). Notez bien la date de publication ci-dessus: il se peut que certaines des informations présentées dans le texte ne soient plus très actuelles, même si le fond demeure pertinent.

La Grande Mort de mononc’ Morbide paraît aujourd’hui et certains d’entre vous auront peut-être trouvé un peu long le temps écoulé depuis mon roman précédent. Laissez-moi vous expliquer – mieux, vous révéler ce que rarement on expose. Souvent, des auteurs en entrevue vont dire que l’écriture, l’édition, ce n’est pas sorcier. Mais ça l’est, pourtant. Ça l’est.

Le poids des mots

Depuis 2008, j’écris tous mes romans dans un petit manoir au sommet d’une falaise, à Sherbrooke. J’écris dans une pièce qui me ressemble, chargée de livres, pendant que le vent s’évertue à démolir notre demeure. Je m’enferme, je tape sur mon clavier. Sur mon bureau, pas d’écran : les mots emplissent l’espace, plutôt.

C’est mystique, voilà. Pour l’écrivain, les mots ont du volume, de la texture. Du poids, aussi, mais quand l’écriture va bien, ils flottent. Suspendus dans l’air, ils en viennent à m’encercler. Les mots emplissent la pièce, si bien que je ne vois plus les murs chargés de ces livres d’autres auteurs, ces livres qui m’ont enchanté et inspiré. Je ne les vois plus, mais je sais qu’ils sont là, derrière.

Souvent, en cours d’écriture, je me prends à inspecter les mots. Je cherche des failles dans l’édifice. J’en retire un qui me paraît faible et je m’empresse de remplir le trou avec un mot meilleur. Des fois je gâche la magie, des phrases entières s’écroulent, ça fait un de ces vacarmes, ma douce dans le salon me lance : « T’es-tu correct? » Je la rassure, puis j’écris jusqu’à ce que ça se remette à flotter.

Ainsi ai-je écrit mon nouveau roman. Pendant des semaines, des mois. Même une fois l’histoire complète, j’en ai eu pour longtemps encore à errer dans mon bureau, perdu dans le dédale du texte, à déplacer des phrases ou des scènes entières.

Des visiteurs dans le dédale

J’ai fini par juger que le roman était présentable. C’était au tour de ma douce, ma première lectrice, d’arpenter le dédale. Elle a pris des notes puis m’a offert une visite guidée de mon histoire en indiquant tous les défauts qu’elle avait remarqués. Souvent, elle revient à la charge par la suite : lors d’un repas, on discute du roman et elle m’attaque à l’aiguille, elle pointe les failles dans mon argumentation. Je pare les coups avec ma fourchette mais souvent elle arrive à atteindre un point sensible. Je consulte parfois des amis aussi, qui chacun ont leur style, leur manière d’argumenter. C’est un bon entraînement.

Ayant révisé mon roman à la lumière des conseils reçus, j’ai pu dégager mon espace d’écriture. J’ai appuyé sur une touche et les mots ont été aspirés, comprimés et envoyés à mon directeur littéraire chez Alire grâce à une autre forme de magie, celle que vous connaissez sous le nom d’Internet.

Puis, pour tromper l’attente, je me suis empressé d’encombrer mon bureau d’une nouvelle œuvre, un nouveau fouillis.

Le plus dur, c’est qu’on ne sait jamais quand le directeur littéraire peut frapper. Plus les mois passaient, plus le moment paraissait imminent… mais le directeur a toujours d’autres romans à explorer. Le moment se faisait attendre.

Le duel

Le moment s’est abattu sur moi alors que je marchais dans un parc près de la rivière Magog. Le soleil achevait de se coucher quand j’ai vu les mots s’élever autour de moi. Je les ai reconnus : c’était La Grande Mort de mononc’ Morbide. Et là, au sommet du premier chapitre, se dressait la silhouette de mon directeur littéraire. Je l’ai reconnu avant même qu’il brandisse son épée.

J’ai dégainé la mienne, que je portais en bandoulière sous mon coupe-vent. Un katana : que voulez-vous, j’ai beaucoup regardé Highlander dans ma jeunesse. Mon directeur a bondi. Sa lame est venue sonner contre la mienne, en guise de salutation, puis il a reculé de quelques pas. « J’ai lu ton roman », qu’il a dit.

Voyant que j’étais prêt, il est revenu à la charge. Nous avons longé les premiers chapitres en échangeant quelques coups légers. La noirceur s’installait mais les mots autour de nous produisaient une faible lueur. Mon directeur littéraire feintait d’un côté en me reprochant un temps de verbe, puis m’attaquait au niveau de la narration, qu’il trouvait mal calibrée. Je parais la plupart des coups sans riposter : parce qu’il avait souvent raison, et parce que je conservais mes énergies.

J’ai bien fait. Alors que je commençais à trouver mon rythme, il a foncé, m’a forcé à reculer, j’en perdais l’équilibre. Il maniait comme toujours une épée à deux tranchants, lourde, bien tempérée, digne d’un chevalier. « Soigne ta gradation narrative! Regarde, t’as une scène, là, qui sort de nulle part! », a-t-il dit en me poussant le visage dans ma prose. Je me suis dégagé mais je me suis vite perdu dans le chapitre suivant. Je n’avais pas exploré ce roman-là depuis des mois : c’était le chantier d’un autre roman que j’avais en tête.

Avant que je puisse retrouver mon aplomb, mon directeur m’a assailli au détour d’un scène mal construite et m’a désarmé. Je me suis esquivé de côté, crab style. Mon directeur littéraire, bon joueur, a rengainé son épée, ce qui ne le rendait pas moins redoutable – même à mains nues, il cogne fort.

Pendant quelques instants, j’ai brillamment défendu la saveur que voulais donner à mon roman. Assez, même, pour rouler et mettre la main sur un adverbe superflu.

Alors que je me redressais en brandissant mon arme improvisée, mon directeur est revenu à l’assaut, épée en main. J’ai peiné à parer les coups jusqu’à ce qu’il me lance, calme et implacable : « quelle est la finalité de ton roman? »

J’ai hésité.

Sa lame a fendu mon adverbe et m’a atteint au flanc. J’ai posé un genou à terre, la main plaquée sur ma blessure. J’étais vaincu.

Le nerf de la guerre

Ça peut vous paraître cruel, une telle manière de procéder. Comprenez que nous nous battions tous deux pour le bien de l’œuvre. De tels combats sont honorables. Ils se déroulent dans le respect. Les adversaires, loin d’être ennemis, sont maître et élève, ou carrément partenaires.

On entend parfois des récits déplorables, c’est vrai. Des auteurs débutants malmenés au point d’en perdre le goût d’écrire… des cas d’exception, heureusement. Certains pourraient être tentés par l’auto-édition, plutôt, mais détrompez-vous: ce n’est pas sans danger. À s’éditer soi-même, on a vu des créateurs tourmentés, au moment de la révision, se scinder en deux et se battre contre eux-mêmes comme Superman contre Clark Kent dans Superman III. Sachez aussi que la lutte ne se limite pas au processus de direction littéraire. Si vous croisez Michel Tremblay dans un salon du livre, demandez-lui gentiment et il vous montrera peut-être les cicatrices de ses débuts, vestiges des attaques de tous ceux qui lui reprochaient d’avoir écrit Les Belles-sœurs en joual.

De mon côté, après ma défaite, je me suis remis au travail. L’acte I s’est vite écroulé et j’ai dû le rebâtir à neuf. J’ai renforcé la structure, échangé une intrigue secondaire pour un autre. Puis je suis retourné au combat. Au-dessus de nos épées croisées, j’ai découvert dans le regard de mon directeur littéraire un respect renouvelé… puis j’ai vu émerger de l’ombre son nouvel adjoint qui venait se joindre au combat en faisant tournoyer son nunchaku.

Je m’en suis tout de même nettement mieux tiré. Et j’ai su tenir tête, par la suite, à la correctrice. Pas de grands coups d’éclat de sa part, mais une rafale incessante de petites attaques, un stylet dans chaque main. Elle me reprochait mes choix de verbes et touchait trop souvent à mon goût; elle s’en prenait au parler de mes personnages et je parais en criant « stet! » – le cri qui paralyse.

Vous l’aurez compris : l’auteur est un combattant. Quand il ne se bat pas contre ses éditeurs, il se bat contre le doute, cet adversaire retors à la lame invisible. Certains vont jusqu’à combattre les fantômes des auteurs qui les ont précédés. Et ne nous attardons pas à ceux qui commettent l’erreur de se battre contre les critiques.

Chaque auteur choisit sa manière et ses armes. Chacun apprend de ses combats. Chacun raffine son style, de la rapière de Molière jusqu’à Ed Hardcore qui, me suis-je laissé dire, fait des ravages avec son drunken kung fu. Chacun y met le temps qu’il faut.

Puis le roman est complet. C’est à d’autres qu’il revient d’en faire la mise en page, ou d’illustrer la couverture, ou d’imprimer le tout, ou de le placer dans les librairies – ne me demandez pas de vous révéler les secrets de tous ces gens, j’en ai déjà beaucoup dit. L’important, c’est que le roman finit par devenir un livre, concret, achevé. Et si le processus est parfois long et périlleux, je sais que c’est pour le mieux. J’espère que le résultat vous plaira. Et qu’il s’en vendra plein d’exemplaires : j’ai besoin d’un nouveau katana.

mots-clés: direction littéraire, édition, Fractale Framboise, métaphores, processus, roman

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