Ce billet a paru à l’origine sur le blogue Fractale Framboise et est reproduit ici à peu près tel quel (au plus, j’ai mis à jour certains liens ou corrigé une faute). Notez bien la date de publication ci-dessus: il se peut que certaines des informations présentées dans le texte ne soient plus très actuelles, même si le fond demeure pertinent.
S’il y a une chose que les écrivains font bien, c’est de se pencher sur leur propre fonctionnement et sur les mystères de leur métier quand ils devraient plutôt être en train de rédiger leur prochain roman. Il faut dire que la curiosité du public y est pour quelque chose. Pour qui n’écrit pas, l’existence de la fiction suscite de nombreuses questions, dont la sempiternelle « Où prenez-vous vos idées? »
Divers auteurs ont tenté d’y répondre de diverses manières. Harlan Ellison prend un malin plaisir à révéler l’existence d’un certain « Idea Service » à Schenectady, NY qui lui livre des idées fraîches à chaque semaine.[1] Stephen King, lui, a écrit une histoire sur le sujet: « The Ballad of the Flexible Bullet ». Neil Gaiman a rédigé un bon essai où il explique entre autres que les idées sont la partie facile du processus. Il met aussi le doigt sur un principe tout simple: tout le monde a des idées, mais les écrivains sont plus adeptes à remarquer quand ça leur arrive.[2]
Quand on me posait la question, avant, je parlais d’observation, d’entraînement, des curieuses associations qui naissent quand on heurte ensemble des éléments disparates. Tout ça avait un certain sens, mais était-ce satisfaisant?
On me faisait remarquer récemment comment les gens utilisent beaucoup le mot « don » en parlant des artistes, comme s’il fallait nier le mérite de l’artiste qui, après tout, bénéficie là d’un cadeau. C’est vrai que le mot « don » implique une influence extérieure: un donateur, quel qu’il soit. L’auteur est conscient de la grande part de travail qui entre dans la création de son oeuvre, mais il reste la proie du doute.
Nombreux sont les auteurs qui doutent de leur talent, et nombreux ceux qui, même certains de l’existence de ce talent, doutent de ce qu’il soit suffisant. C’est que l’écriture (voire la Littérature) est un outil si fin qu’on n’est jamais certain de bien le manier. Rares sont les moments où l’on arrive à placer le mot juste à l’endroit précis du plus beau sens ou du plus grand impact, et ces occasions paraissent si miraculeuses qu’on hésite à s’en approprier le mérite. Ne seraient-elles pas plutôt le fait d’une agence extérieure, quelque chose d’ailé ou de lumineux ou de mystique? Peut-être ces précieuses illuminations sont-elles la conséquence de l’alignement des étoiles: peut-être qu’au moment fatidique, Bono était en conférence avec les maîtres de ce monde alors que Tom Cruise amorçait une escalade périlleuse que son cascadeur viendrait compléter. Peut-être qu’Elvis, étendu sur la plage de son île quasi-déserte, se retournait dans son sommeil et ainsi, arcane renversé, complétait le schéma cosmique qui allait propulser dans la tête lointaine d’un écrivain paumé une phrase incandescente de vérité. Peut-être est-ce là le secret de l’inspiration et la véritable source des idées; une coïncidence occulte à souhait, et hors du contrôle de l’écrivain.
Pourquoi s’en faire, au fond? Pourquoi chercher une explication raisonnable pour ce processus déraisonnable qu’est l’écriture? Pourquoi décevoir les gens par une explication banale? Quand on me demandera d’où vient mon inspiration, je saurai maintenant quoi répondre: « C’est la faute à Elvis ».
[1] Pour ceux qui veulent le lire dans les mots d’Ellison, consultez la FAQ sur son site.
[2] Une citation de Boris Vian sur le sujet, tiens (tirée de Cantilènes en gelée, semble-t-il):
Il est évident que le poète écrit
Sous le coup de l’inspiration
Mais il y a des gens à qui les coups ne font rien.